Organisée par Diaphane, pôle photographique en région Hauts de France, la 15ème édition des Photaumnales, dans une année de commémorations multiples (1918-1968 …), interroge elle aussi la relation mémorielle de la photographie à l’histoire, en confrontant des approches multiples et variées sur ce thème. Où loge la mémoire, tel est son titre, explore la diversité des relations qu’entretient la photographie avec le temps.
Au programme : 27 photographes présentés dans des expositions thématiques ou monographiques, de nombreuses visites et ateliers proposés dans le cadre du programme d’éducation à l’image afin de permettre à un large public de découvrir la multiplicité des approches artistiques et de mieux comprendre le langage des images.
Plusieurs photographes que j’apprécie particulièrement et que je suis depuis longtemps sont présents cette année aux Photaumnales.
Ambroise Tézenas a enquêté sur le phénomène, connu dans le monde anglo-saxon sous le nom de dark tourism, qui consiste à visiter des lieux marqués par la tragédie. Du massacre d’Oradour-sur-Glane en 1944 jusqu’aux ruines du tremblement de terre de la province du Sichuan en Chine, en 2008, Ambroise traverse le XXe siècle en passant, entre autres, par Auschwitz, le Cambodge, le Rwanda, l’Ukraine ou Tchernobyl. Il dresse un état des lieux de ces voyages organisés d’un nouveau genre, qu’il résume d’une phrase : « Ici, on vient vérifier un cauchemar ». J’ai déjà eu l’occasion de commenter ce travail en juillet 2015 à l’occasion de son exposition aux Rencontres d’Arles.
© Ambroise Tézenas. Voyage à Tchernobyl, Ukraine, 2008.
Sophie Zénon dont j’ai parlé à plusieurs reprises présente Pour vivre ici, titre emprunté à un poème de Paul Eluard, un film qu’elle a réalisé au cours d’une résidence de création en 2017 (Abri mémoire, Uffholtz) sur le site vosgien du Hartmannswillerkopf (HWK), haut lieu de la Première Guerre mondiale, Il aborde la question de la restitution de la mémoire d’un lieu de conflit de la Guerre de 14. A mi-chemin entre recherches documentaires et esthétiques, s’appuyant sur des travaux de scientifiques tels que botanistes et personnels de l’ONF, ce travail propose une interprétation du lieu à partir de sa forêt et une approche du site par ceux qui le vivent, le côtoient, le pratiquent. Lumières éblouissantes, paysages « vibrés », superpositions de documents d’archives et d’éléments naturels réalisées in situ, constituent la trame d’une écriture personnelle pour rendre compte tant de l’esprit des lieux que de la manière dont les hommes ont appris à vivre avec cette forêt.
Un petit accrochage de photographies (on aimerait en voir davantage) complète la projection de cette vidéo de 17mn.
© Sophie Zénon. Pour vivre ici, Lippische Schweiz
A la demande de la Direction régionale des affaires culturelles de Normandie et de l’Association régionale pour la diffusion de l’image à Caen, Céline Clanet a exploré pendant deux ans les trois logements de fonction des préfets de Basse-Normandie, patrimoine national dont l’accès est interdit au public.
Partout, de longs couloirs, des salons d’apparat, des odeurs de boiseries, de
meubles anciens, et le craquement indiscret du parquet ; partout, un personnel
consciencieux occupé à repasser, servir, cuisiner, entretenir des bâtiments
classés, souvent splendides.
Toujours, la surprise de n’y voir aucune photo de famille, aucun objet personnel.
Ces lieux ne sont que les écrins secrets où dort un fonctionnaire, un soldat haut
gradé de l’Etat, qui ne fait qu’y travailler, pendant une petite poignée d’années ou
quelques mois, avant de laisser sa place au suivant.
Je connaissais surtout Céline pour le travail personnel qu’elle mène depuis des années sur le territoire arctique européen continental, qui rejoint les préoccupations de l’Observatoire Photographique des Pôles. Sa série Máze a été plusieurs fois récompensée et exposée, notamment à Bordeaux en 2016, je l’avais annoncé.
© Céline Clanet. Accès réservé. Petite salle à manger. Hôtel du Préfet du Calvados, Caen
Gaël Clariana, lui, photographie les zones pavillonnaires en cours de construction. (Voir mon article sur son exposition Habiter le paysage en janvier 2014).
Olivier Grasser en parle bien :
Dans des environnements neufs et artificiels, les éléments de bâti semblent
les pièces d’un jeu d’assemblage à l’échelle monumentale, les maisons se
donnent à voir comme des coquilles vides et nues, inquiétantes ou dérisoires
par leur impersonnalité et leur ressemblance. Attentif à l’homogénéité des
couleurs d’image en image, Gaël Clariana s’attarde sur la géométrie rigoureuse
des structures et sur la nudité des surfaces, sur la manière dont le dessin des
pavillons articule un espace vide et stérile. Ces oeuvres illustrent un mode
de développement urbain parfaitement actuel. Elles sont un regard critique
porté sur l’expansion des villes en zones périphériques d’habitat individuel
et pavillonnaire, qui bouleversent l’urbanisme traditionnellement organisé en
combinaisons d’axes de déplacement et d’îlots commerçants et résidentiels.
Les photographies de Gaël Clariana fabriquent la mémoire d’espaces éphémères et généralement négligés au profit d’une vision du paysage urbain plus achevée et pérenne.
© Gaël Clariana. Ici bientôt, Résidence “Le Clos des Châtaigniers”, Amiens, 2003
Quant à Serge Clément, c’est pour moi une belle découverte. La qualité des tirages (en piézographie) et de l’accrochage ont retenu mon attention.
Serge Clément, qui vit et travaille à Montréal, a été accueilli en résidence par Diaphane en 2017, dans le cadre du partenariat avec les Rencontres internationales de la photographie en Gaspésie. Sa démarche documentaire donne naissance à un récit poétique.
… le regard de l’étranger sur cette urbanité, ses espaces aménagés, domestiqués
empreintes de ses lumières d’octobre, de ses effluves, de soleils évasifs
porté par les hasards, les coïncidences, des énigmes
extraits de son patrimoine architectural, historique, industriel, littéraire, filmique …
©Serge Clément. Fragments & Trans, 2017
Tous ces artistes sont présentés au Quadrilatère
22 rue Saint-Pierre – 60000 Beauvais
Du mardi au vendredi de 12h à 18h et samedi et dimanche de 10h à 18h
L’exposition d’Arnaud Chambon, dont j’ai déjà parlé en 2012 et 2015, est présentée à l’Espace Séraphine Louis à Clermont.
J’ai passé 5 mois au sein de l’hôpital psychiatrique de Clermont, dans l’Oise. J’ai
fait ce choix car cet autre, cet ailleurs que cristallise le soin psychiatrique fait
partie de ma vie depuis longtemps, et que cette immersion totale était pour moi
une façon de faire face à quelque chose.
Comme souvent quand j’arrive quelque part, je me mets en colère contre les
mots utilisés dans ce lieu. L’hôpital n’a pas fait exception a` cette règle. Au centre
de ma colère il y avait les mots de la nosologie. Parfois il m’arrivait d’utiliser les
mêmes mots et ma colère redoublait. J’ai mâché cette colère, j’ai fermé les yeux
et je suis descendu en moi pour mieux regarder ce que je voyais.
Il y eut pour moi ces déchirures devant le monde que le photographe connaît
bien, des sortes d’extases. Il y eut aussi beaucoup de difficultés et des
photographies manquées. Mais j’ai pu je crois réaliser des photographies qui
comptent pour moi. Et à chaque fois, elles me laissaient nu, perdu, sans savoir.
Je n’étais pas seul. Une centaine de personnes, dont la plus jeune avait 6 ans, ont
toutes essayé de trouver le chemin vers des photographies qui comptent pour
elle-même. Et il y eut aussi pour moi ce double bonheur de regarder l’énergie
dégagée par notre mouvement, et de vivre les photographies réalisées par
d’autres. Arnaud Chambon
Il s’agit d’une véritable installation car aux photographies réalisées par Arnaud au sein de l’hôpital viennent s’ajouter celles prises par les « malades ». Ainsi près de 500 petits tirages épousent les formes mansardées de l’espace, comme pour insister sur le caractère torturé de leurs auteurs. L’ensemble est très fort, voire dérangeant. Dommage que cette exposition soit un peu mise à l’écart.
© Arnaud Chambon. Contre !, 2017
Espace Séraphine Louis
11 rue du Donjon – 60600 Clermont-de-l’Oise
Mercredi, samedi et dimanche de 14h à 18h
Jusqu’au 31 décembre 2018
Accès gratuit à l’ensemble des expositions